L’EXECUTION DES JUGEMENTS ET ARRETS EN RDC :
L’AUPSRVE A L’EPREUVE DE DIRECTIVES
ADMINISTRATIVES INQUIETANTES

L’EXECUTION DES JUGEMENTS ET ARRETS EN RDC : L’AUPSRVE A L’EPREUVE DE DIRECTIVES ADMINISTRATIVES INQUIETANTES

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I. Introduction


En RDC, ‘’la hiérarchie’’ semble plus sacrée que les lois. Entre l’Avocat qui connaît la loi, et celui qui entretient de bonnes relations avec la ‘’hiérarchie judiciaire’’, pour le justiciable, le choix est clair. Dans un tel environnement, il faut prendre très au sérieux les notes circulaires et les directives administratives diverses. En effet, que celles-ci soient conformes ou non à la loi, pour autant qu’elles participent des options levées par la hiérarchie, elles finissent par constituer en définitive le droit concret que les juridictions appliquent. Même sans conviction. Car, plus que la violation de la loi même, celle d’une circulaire passe pour un affront intolérable contre ‘’la hiérarchie’’. Le 9 septembre 2019, nous avons publié un article1 qui interrogeait l’opportunité de la circulaire du Premier Président de la Cour de Cassation relative aux saisies arrêts et saisies 1 Jacques MUKONGA SEFU, « La circulaire relative à l’interdiction d’autorisation des saisies-arrêts conservatoires par les Président des tribunaux de commerce : un arbitrage tardif réinstallant l’insécurité juridique », by https://juriafrique.com/…/la-circulaire-relative-a…/ Me Jacques MUKONGA SEFU Avocat au Barreau près la Cour d’Appel du Haut-Katanga mukongaa@gmail.com Etude MUKONGA Juin 2021 conservatoires2 . Elle sera finalement rapportée par la note circulaire du 04 mars 20213 qui, malheureusement, crut résoudre un problème en en créant d’autres4 . Mais c’est cette dernière que les juridictions appliquent concrètement bien qu’en violation flagrante de la loi 5 simplement parce qu’ainsi en a décidé ‘’la nouvelle hiérarchie’’. Le présent article s’intéresse à la note de service n°0202/400 du 07 juin 2021 relative à l’exécution des jugements et arrêts signée par les Premiers Présidents des Cours d’Appel de Kinshasa Gombe et Matete, en s’appuyant sur la note circulaire du Premier Président de la Cour de Cassation n°001 du 07/ 12/2020 portant directives sur l’installation et l’exercice de la profession d’huissiers de Justice. En effet, comme nous l’allons (dé)montrer, les dispositions de cette note de service nous paraissent inquiétantes parce qu’elles consacrent des pratiques qui heurtent l’esprit et la lettre de l’AUPSRVE. En clair, notre hypothèse est que cette circulaire tend à ‘’inféoder’’ l’exécution alors que le législateur communautaire OHADA a voulu la ‘’libéraliser’’. Ce sont ces deux mouvements que nous nous proposons d’exposer dans les lignes qui suivent.

II. L’AUPSRVE : Consécration d’une quasi-libéralisation des voies d’exécution

En s’émancipant de plus en plus de la procédure civile6 , le droit des voies d’exécution s’élabore jour après joursa propre théorie censée rendre compte de la cohérence du système mis en place7 . Ainsi, dans l’AUPSRVE, le livre II traitant des voies d’exécution s’ouvre sur un premier titre consacré aux dispositions générales : les articles 28 à 53. La lecture de ces dispositions et celle des arrêts de la CCJA s’y rapportant, le tout éclairé par des commentaires doctrinaux, permettent de rendre compte de l’esprit général, de la cohérence du système tel que l’a pensé le législateur communautaire OHADA. Selon cette ratio legis, on s’aperçoit que le législateur OHADA a entendu consacrer une ‘’quasi libéralisation’’ des voies d’exécution en désengageant le plus possible les agents de l’Etat. En effet, tout a été pensé de manière à ce que l’exécution ne soit plus inféodée au personnel.


2 La note circulaire du Premier Président de la Cour de Cassation n°002 du 6 juin 2019 relative à l’interdiction d’autorisation des saisies arrêts et saisies-conservatoires par les Présidents des tribunaux de commerce. 3 Note circulaire n°001 du 04 mars 2021 rapportant celle n°002 du 06 juin 2019 relative à l’interdiction des autorisations des saisies-arrêts et saisies-conservatoires par les Présidents des Tribunaux de commerce. 4 En disposant que « le tribunal de commerce est la seule juridiction compétente en matières de saisies-arrêts et saisies conservatoires, sans préciser en quelle matière (civile ou commerce), ladite circulaire viole l’article 111 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire, « quelle que soit la valeur du litige, les Présidents des tribunaux de paix, ou, à défaut, les Présidents des tribunaux de grande instance, là où les tribunaux de paix ne sont pas installés, peuvent autoriser les saisies-arrêts et les saisies conservatoires en matière civile ou commerciale ». 5 L’article 111 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire. 6 Autrefois simple appendice du droit de la procédure civile, le droit des voies d’exécution se fraie son autonomie. Ainsi, en France, l’ordonnance du 19 décembre 2011 et le décret du 30 mai 2012 ont assuré la codification du droit de l’exécution, à côte du code de procédure civile. 7 Dans ce sens M. et J.B. DONNIER, voies d’exécution et procédure de distribution, 6ème édition, 2001, n°16, note n°2, p. 6. « Le droit de l’exécution, comme toutes les autres branches du droit, ne peut faire l’économie d’une interrogation théorique sur les raisons d’être et les finalités des règles applicables ». judiciaire, à commencer par les chefs de juridictions et des parquets du lieu d’exécution. Trois points permettent de démontrer cette affirmation à savoir la déjudiciarisation (a), la déparquetisation (b) et la libéralisation de la profession d’huissiers (c).


a) La déjudiciarisation de l’exécution

Selon Joseph Djogbenou, « par le principe de la déjudiciarisation, le législateur considère qu’une procédure d’exécution, en l’absence de tout incident, pourrait être déclenchée et conclue sans l’intervention d’un juge » 8 . En excluant ainsi le juge, l’on évite la lenteur de la procédure judiciaire9 . En effet, de manière générale, l’AUPSRVE n’a consacré l’intervention a priori du juge qu’à titre exceptionnel, notamment en ce qui concerne les mesures conservatoires10. Quant aux voies d’exécution proprement dites, les procédures de validation ayant été supprimées, l’exécution se passe le plus possible des autorisations préalables du juge. En somme, sauf incident, l’exécution devient une affaire d’agents d’exécution et des parties antagonistes : le créancier et le débiteur.


b) La dé-parquetisation de l’exécution

Selon l’article 29, al. 2 de l’AUPSRVE, « La formule exécutoire vaut réquisition directe de la force publique ». La Cour d’Appel d’Abidjan a eu l’occasion de relever que, « L’article 29 de l’AUPSRVE interdit la pratique des réquisitions d’assistance au Procureur de la République, la formule exécutoire seule, valant réquisition directe de la force publique » 11. Il s’ensuit que le Parquet est contourné, la force publique n’ayant plus à attendre une réquisition spéciale émise par le Procureur pour concourir à l’exécution. C’est là un autre verrou que le législateur communautaire fait sauter. Car, autrefois, Dieu sait combien les justiciables avaient à dépenser en temps, sous et énergie pour s’arracher une simple réquisition du parquet afin de faire concourir la force publique à l’exécution d’un jugement.


c) La libéralisation de la profession d’huissier

L’effectivité du droit des voies d’exécution est largement tributaire d’un corps d’agents d’exécution libres d’agir, n’ayant pas les mains liées et échappant à toute pression de la hiérarchie. C’est dans cette optique qu’il faut comprendre la loi n°16/011 du 15 juillet 2016 portant création et organisation de la profession d’Huissier de justice, laquelle a libéralisé12 la profession d’huissier. Dans l’exposé des motifs, le législateur précise que cette loi entend permettre aussi à la République Démocratique du Congo de « se conformer, en cette matière, au droit de l’OHADA ». Désormais, les huissiers ne sont plus désignés par les chefs de


88 Joseph Djogbenou, L’exécution forcée Ohada, 2ème édition, CREDIJ, 2011, p. 94. 9 Anne-Marie H. Assi-Esso, Ndiaw Diouf, OHADA. Recouvrement des créances, Bruylant, Bruxelles, Juriscope, 2002, p.62. 10 Pour pratiquer une saisie conservatoire, le créancier qui ne dispose pas d’un titre exécutoire, doit obtenir l’autorisation de saisir du président de la juridiction compétente. 11 CA Abidjan, n°1124, 8-4-2003 : Sté Ash International c/ H.B.T., Ohadata J-03-334. 12 Lire l’article 1 loi n°16/011 du 15 juillet 2016 portant création et organisation de la profession d’Huissier de justice.


juridiction parmi les agents de l’ordre judicaire mis à leur disposition13, mais ils exercent une profession libérale – comme les avocats- posant des actes de leur ministère en rendant compte à leurs clients, sauf respect par eux des dispositions légales en vigueur et de leur déontologie. L’huissier n’est plus ce petit rat du Palais que la hiérarchie judiciaire pouvait harceler jusqu’à stopper une exécution sous peine de sanction. Au contraire, il se mue en véritable partenaire de la justice libre et responsable de ses actes. Au total, ces trois considérations exposées démontrent, si besoin en est, que le ‘’nouveau droit’’ des voies d’exécution secrété par l’AUPSRVE entend rendre plus autonome le processus d’exécution en le préservant de toute la lourdeur de l’appareil judiciaire avec son poids de la hiérarchie. Mais il est à craindre que ces options du législateur communautaire soient mises à mal par des directives administratives exogènes tel qu’il semble être le cas.


III. Les tentatives d’inféodation de l’exécution des jugements et arrêts : les raisons de s’inquiéter

La note de service n°0202/400 du 07/06/2021 relative à l’exécution des jugements et arrêts, signée par les Premiers Présidents des cours d’appel de Kinshasa Matete et de Gombe dispose qu’en matière d’exécution, les agents d’exécution sont enjoints de respecter scrupuleusement la procédure suivante : 1) La demande d’exécution faite par l’huissier au nom et pour le compte de son client adressée au Greffier Divisionnaire de la Juridiction concernée avec copie pour information au chef de juridiction, éventuellement au Chef du ressort ; 2) La Préparation des actes par le greffe d’exécution 3) L’attribution par ce dernier d’un numéro RH ; 4) L’obtention du Quitus du chef de juridiction ; 5) L’obtention du numéro RH de l’huissier dûment mandaté par la partie requérante ou ses initiales 6) Transmission par le Greffier Divisionnaire des copies certifiées conformes des pièces d’exécution officielle (suite à la demande dont allusion au point 1). A l’analyse de cette procédure fixée qui régentera désormais les pratiques d’exécution dans le ressort de ces deux cours d’appel, on sent qu’il y a des raisons de s’inquiéter. En effet, sans revenir sur chacune des étapes de cette procédure -toutes aussi critiquables les unes que les autres- qu’il nous suffise de nous arrêter sur la clause quatre : l’obtention du Quitus du chef de juridiction. Qu’est-ce que cela signifie avoir le quitus du chef de juridiction pour exécuter un jugement ou un arrêt ? Quelle forme aura ce quitus : une ordonnance, un paraphe, un visa ? Quels risques y a – t-il à craindre de cette clause ? Là est toute la question. Là commencent les difficultés. La première difficulté est d’ordre purement sémantique. En effet, il y a fort à parier que le terme ‘’quitus’’ ait été utilisé à tort et à travers, parce que ses significations consacrées aussi


13 Article 40 de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire


bien dans le langage courant que dans le langage juridique ne conviennent pas à l’entendement que nous soupçonnons être celui des rédacteurs de cette note de service. Selon Le Robert, le terme quitus signifie : « Acte par lequel le responsable de la gestion d’une affaire est reconnu s’en être acquitté de manière conforme à ses obligations et est déchargé de toute responsabilité. Décharger. Donner quitus à un gérant à un comptable, au conseil d’administration14 . Selon le Vocabulaire juridique, le terme quitus signifie « Décharge de responsabilité : acte par lequel une personne reconnaît qu’une autre personne qu’elle avait chargée d’une mission a rempli celle-ci dans des conditions qui la déchargent de toute responsabilité » 15 . Il se comprend aisément à la lecture de ces définitions consacrées que le terme quitus renvoie à une sanction positive a posteriori qui décharge un mandataire. Or, dans le sens qu’on peut supposer être celui des rédacteurs de la note de service sous revue, le terme quitus est à comprendre comme étant un visa, une autorisation a priori qui ouvre la voie à la démarche d’exécution envisagée. Ainsi, il faut en conclure qu’aux termes de cette clause 4, toute mesure d’exécution doit être visée par le chef de juridiction avant qu’elle soit engagée. Puisqu’il en est ainsi, alors il y a des raisons de s’inquiéter. En effet, comme relevé supra, selon l’esprit et la lettre de l’AUPSRVE, tout a été pensé de manière à éviter le plus possible des obstacles a priori au processus d’exécution, notamment ce type de prérogatives que l’on reconnaît aux chefs de juridictions de donner ‘’quitus’’. Consacrer cette pratique revient à inféoder l’exécution alors que le législateur communautaire a entendu la libérer de l’emprise absolu du personnel judiciaire. Il y a plus. La note circulaire dont question arrête in fine que « En conséquence, sera considérée irrégulière entrainant report par le Chef de juridiction des actes d’exécution posés par l’huissier, toute exécution faite non seulement en violation de cette procédure mais aussi sur base des pièces obtenues des mains des parties ou leurs conseils ». Donc, par hypothèse, un détenteur d’un titre exécutoire valable ayant satisfait à toutes les exigences du greffe qui charge un huissier de son exécution, lequel huissier en effet procède à la saisie sans s’en être préalablement référé au Président de juridiction, verra cette saisie être déclarée irrégulière, avec comme sanction à la clef le report. Décidément. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment concilier ces pratiques avec les dispositions de l’AUPSRVE. Serait-ce un ajout à l’AUPSRVE ? Comment cette irrégularité sera-t-elle traitée ? Par quel juge ? Dans le cadre de quelle instance ? Pour nous, cela n’a simplement aucun sens. Aucun sens. Tout quitus, tout visa est un motif de s’inquiéter parce qu’il peut conduire à des abus. On avait consacré le visa des décisions judiciaires par les chefs de juridiction, mais cette pratique, contra legem, souvent dénoncée16 , a fini par faire du chef de juridiction l’unique juge décideur de


14 Le Nouveau Petit Robert, sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 1993. 15 Gérard Cornu, Vocabulaire Juridique, 12ème éd., puf, Paris, 2016, p. 843. 16 Marcel Yabili, Les juridictions judiciaires, organisation-fonctionnement-compétences en RDC, Auteur-Editeur, Kinshasa, 2013, p. 104.


l’issue des affaires dès lors qu’il peut refuser son visa à une décision de ses collègues qui ne répond guère à ses attentes. Il faut craindre qu’il en soit ainsi en fait d’exécution. Le prétexte est facile, de dire que c’est pour assurer un peu d’ordre dans le domaine. Non, le système se suffit. D’une part, les créanciers continueront de répondre de tous abus qu’ils commettraient dans les démarches d’exécution et d’autre part, les agents d’exécution, en l’occurrence les huissiers et les clercs qui les assistent, seront toujours appelés à répondre de leurs incartades aussi bien devant les juridictions ordinaires que celles ordinales. Du reste, les saisies irrégulières seront sanctionnées par le juge de l’article 49 de l’AUPSRVE, prévu pour cela.


CONCLUSION

Pourquoi se pencher et consacrer tout un article sur les dispositions d’une simple note de service ? Eh bien, nous l’avons dit en introduction, parce qu’en tant qu’elle émane de la hiérarchie, qui semble plus sacrée que les lois sous nos latitudes, un tel acte aura la vertu de consacrer des pratiques en matière d’exécution opposables à tous comme du ‘’droit concret’’, et ce sans qu’il ne soit plus possible de mettre en cause leur légalité. Il faut rester vigilant face à ce carnaval de circulaires et directives administratives. Rappelezvous : un jour une hiérarchie avait réfléchi et décidé que désormais les saisies conservatoires ne seraient plus autorisées que par les Présidents des tribunaux de paix. Mais les changements intervenus dans la hiérarchie entraineront le changement de cette opinion : désormais, selon la nouvelle hiérarchie, c’est aux Présidents des tribunaux de commerce qu’est reconnue cette prérogative. Face à tout cela, le juge, qui doit réellement appliquer les règles, ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour dire le bon droit selon son intime conviction, tel que l’a voulu la constitution à son article 150 al. 2. qui pose que « les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi ». Hélas, on voit le juge voguer lui aussi, tanguer, balloté par ses hiérarchies successives. Vigilance donc. Il faut veiller au grain mis en terre par le législateur communautaire dans le système qu’il a mis en place en matière des voies d’exécution, afin que des pratiques consacrées par des actes de notre droit interne, ne soient pas comme des épines qui étouffent l’éclosion d’une nouvelle ère où désormais, le droit n’est pas seulement dit, mais aussi exécuté. Frédéric Chhum ne disait-il pas qu’ « obtenir un jugement c’est bien, mais le faire exécuter c’est encore mieux ? » 17 . Quoiqu’il en soit, un chef de juridiction qui bloque arbitrairement une exécution en se refusant de donner son quitus engage sa responsabilité et celle de l’Etat sur pied de l’article 29 de l’AUPSRVE.


17 Frédéric Chhum, Saisie-attribution : validation d’une saisie réalisée par un intermittent du spectacle pour exécuter un jugement prud’homal, by http://www.village-justice.com/. Consulté le 17 juin 2021.

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